Extraits in extenso du :
Carnet de voyage de Ruy Gonzales de Clavijo
Visite de la ville de Kech (Shahrisabz) en 1404 ap J.C.
D'après le texte de Ruy Gonzales de Clavijo
interprété et présenté par Lucien Kehren en 2006 :
La route de Samarkand au temps de Tamerlan, Imprimerie nationale, 345 p
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[...] Le lendemain, jeudi 28 aout, à l’heure de messe, nous entrâmes dans une ville appelée Kech qui se trouve dans une plaine. Elle est parcourue par des nombreux ruisseaux et des canaux. Elle est entourée par des jardins et des fermes. Près d’elle s’étendent des bourgs sur le sol plat qui l’environne. Cette contrée, riche en eaux et en prairies est très peuplée. Elle est jolie en été. Les terres de la plaine possèdent beaucoup de champs de blé, de vignes, des cultures de coton, de melons, ainsi que des vergers. La ville est protégée par un mur en terre qui en fait le tour, par des fossés et des portes à pont-levis.
Timour Beg, ainsi que son père, sont nés à Kech. On y trouve des grandes constructions et des mosquées, l’une d’entre elles, particulièrement vaste, est en cours de réalisation sur l’ordre de Timour Beg. Elle possède une chapelle qui abrite la dépouille de son père. Il y a une autre chapelle, plus importante, qui lui est destinée, mais elle n’est pas terminée.
On nous dit que Timour Beg était venu ici il y avait environ un mois et qu’il n’avait pas aimé sa porte trop basse. Il avait ordonné qu’elle soit rehaussée. Des maitres artisans y travaillaient en ce moment.
Dans cette mosquée inachevée, le fils ainé de Timour Beg, qui s’appelait Djahangir, est inhumé.
La mosquée et les chapelles sont richement décorées avec des motifs bleu, or et des carreaux de faïence. Devant l’entrée il y a une grande cour contenant des bassins et des arbres.
[…]
Le lendemain, on nous fit visiter un vaste palais que Timour Beg était en train de faire construire et on nous dit que depuis vingt ans de nombreux maitres en métiers y travaillaient chaque jour.
Ce palais possède une longue façade avec un très haut portail. Aussitôt passé celui-ci, on voit, à droite, mais aussi à gauche, des arcades en briques, ornées de carreaux de faïence, placés en opposition, qui abritent de petites chambres dépourvues de porte, dont le sol est recouvert aussi de carreaux de faïence. Elles sont destinées à recevoir les gens, qui peuvent s’y asseoir, lorsque Timour Beg est présent.
En face, une autre porte, on passe dans une vaste cour aux dalles blanches, entourée d’arcades richement décorées, possédant au milieu un grand bassin rempli d’eau.
Par cette cour, qui mesure bien 300 pas de large, on accède par un portail large et haut, orné de motifs or et bleu, et de carreaux de faïence, d’un aspect admirable, à un ensemble de bâtiments. Le fronton de ce portail porte la représentation d’un lion placé dans un soleil, au centre, et à chaque extrémité une figure identique.
[…]
Passé ce portail, on entre dans une antichambre carrée aux murs peints de bleu et d’or, et ornées de carreaux de faïence ; le plafond est couvert de dorures. De là, on nous fit monter aux étages.
Tout dans ce palais est doré. On nous montra tant de pièces et d’appartements décorés magnifiquement, avec des couleurs or, bleu et bien d’autres, que se serait trop long de les décrire. L’intérieur du palais est merveilleusement et finement ouvragé ; c’est un enchantement pour les yeux.
En un endroit, nous vîmes des chambres et des appartements que Timour Beg avait fait aménager pour son harem, dont le plafond, les murs et les planchers sont admirablement décorés.
Dans des bâtiments travaillent beaucoup d’éminents maitres en de nombreux métiers.
Nous visitâmes ensuite un salon que Timour Beg avait fait construire à part pour se restaurer en compagnie de ses favorites. Devant cette vaste pièce, richement ornée, il y a un grand jardin où se trouvent beaucoup d’arbres d’ombrage, d’arbres fruitiers de plusieurs espèces, et des bassins de pierre sculptée. Ses vastes dimensions permettent d’y recevoir à l’aise de nombreux invités en été et de leur faire profiter agréablement de l’eau et de l’ombrage.
Les ouvrages de ce palais sont réalisés avec tant de magnificence et de profusion qu’il est difficile de bien les décrire si on ne peut les observer avec tout le loisir nécessaire.